fbpx

L’ESS au coeur de la relance



La crise sanitaire a brouillé de nombreux repères
économiques. Une question s’impose alors : à quelles conditions la relance pourra être sociale, solidaire et durable ? Les entrepreneurs engagés ont une carte maîtresse à jouer. À la condition de pouvoir compter sur le juste accompagnement et la force du réseau entrepreneurial.
L’ESS AU CŒUR DE LA RELANCE.
Après la crise, un retour à la situation d’avant serait décevant. D’autant que nous sentons parmi nos salariés, clients, partenaires, membres de la gouvernance, une envie de porter davantage les notions de lien social, de solidarité, de proximité et de sens donné à son travail.” Tel est le constat de Benoît Delliaux, directeur général de Soliha Pays de la Loire, association qui œuvre pour la transition écologique et solidaire de l’habitat privé, qui met ainsi en lumière la pertinence du modèle des entrepreneurs engagés au cœur de la reprise.

De l’urgence à la relance

Est-ce à dire que l’heure est au changement d’échelle pour les acteurs de l’ESS ? Et, si oui, avec quels soutiens ? Pour France Active, dès l’éclatement de la crise,  l’accompagnement a été pensé de manière  multidimensionnelle.
Premier axe : resserrer les liens et écouter les besoins pour une réponse sur mesure. « Toutes nos associations régionales sont tout de suite entrées en contact avec les entrepreneurs engagés soutenus », rappelle Frédéric Cusco, responsable Engagements, Délégations et Territoires chez France Active. Deuxième axe : répondre à l’urgence, et tout particulièrement pour sécuriser les trésoreries (garanties bancaires, le fonds UrgencESS lancé par le secrétariat d’État à l’Économie sociale, solidaire et responsable et déployé par France Active partout en France, prêts de relance solidaire…). « Très vite, il est apparu essentiel de connecter ces outils à un accompagnement pour préparer la suite, en partageant des scénarios et des feuilles de route », complète-t-il.

Objectif : sortir de la fébrilité de l’urgence et consolider les modèles.

S’adapter pour mieux rebondir

Cette dynamique, le Triporteur à Cartouches l’a bien connue. L’association lilloise collecte des cartouches et toners usagés en vue de leur réemploi. Avec le télétravail généralisé, l’équilibre de son activité se trouve impacté : « Nous avons vu l’utilisation de toners laser par les entreprises s’écrouler et l’usage des cartouches pour petites imprimantes à domicile augmenter. Au niveau des comptes, nous ne nous y retrouvions pas », relate son chargé de collecte et de développement, Jean-Luc Lemaire. France Active Nord soutient la structure, notamment via le fonds UrgencesESS d’un montant de 5 000 euros pour lui permettre de garder la tête hors de l’eau. Cette bulle d’oxygène lui donne alors le temps d’adapter l’activité à ce nouveau contexte et de trouver les modalités et les partenaires pour intensifier la collecte de petites cartouches dans les commerces de proximité et les entreprises.
Autre logique pour Soliha Pays de la Loire qui a, quant à elle, vu son activité croître en 2020.
Mais la structure a tout de même eu besoin d’accompagnement, en conseils et en financements, pour mener à bien un changement de gouvernance (avec la fusion des associations départementales) et un déménagement. « Au final, le fait d’avoir continué à avancer sur ces sujets durant la crise, tout en augmentant notre activité de 25 %, nous a renforcés. Aussi bien en interne, car cela crée de la fierté, que vis-à-vis de nos partenaires qui perçoivent ainsi plus de clarté et de solidité dans notre projet », commente Benoît Delliaux.

France Active a su démontrer que son réseau bougeait
vite grâce à son ancrage territorial et pouvait calibrer ses soutiens autour d’un triptyque conseil, connexion,
financement.

Frédéric CUSCO, France Active

Sécuriser l’après

Et maintenant ? Comment donner toutes les chances à la relance solidaire ? Les prochains mois seront décisifs. L’entreprise d’insertion qui produit des jouets en bois pour des sites de tourisme historique, Sitaphy, le confirme. En 2020, elle connaît une perte de chiffre d’affaires de 70 %. Mais les dispositifs de l’État (PGE) et de France Active Bourgogne (un prêt de 30 000 euros) lui permettent de tenir le cap. Mais ensuite ? « En 2020, tout le monde est venu à la rescousse. Grâce aux aides, notre exercice n’a pas fini déficitaire. Mais la donne n’est plus la même désormais. En effet, les fournisseurs du secteur culturel ne sont plus soutenus par l’État en 2021, explique Jean-Pierre Thibault, directeur de Sitaphy Auxerre. C’est alors grâce au soutien de France Active Bourgogne et de notre banque que nous avons pu assurer la pérennité de notre trésorerie. »
Prévoir l’après est en effet essentiel pour Frédéric Cusco. « France Active a su démontrer que son réseau bougeait vite grâce à son ancrage territorial et pouvait calibrer ses soutiens autour d’un triptyque conseil / connexion / financement. Aujourd’hui, nous devons continuer à faire évoluer nos modes d’action pour continuer à protéger les entrepreneurs engagés et leur permettre de jouer pleinement leur rôle. » Cela passera notamment par une écoute plus fine, des délais de remboursement un peu plus longs dans certains cas et une capacité à mobiliser davantage de partenaires autour de la table, même sur des sujets compliqués. De nouveaux moyens sont également prévus pour avancer : sur les 500 millions d’euros destinés au financement et au développement du secteur de l’économie solidaire, 100 millions d’euros seront alloués à sa reprise, « pour ainsi créer un effet relance à l’image des valeurs sociales et solidaires des entrepreneurs engagés ».

  • 100 M€ de financements d’urgence par France Active15 000 garanties rééchelonnées
    10 000 prêts participatifs rééchelonnés
  • 5 000 structures bénéficiaires du fonds UrgencESS> 18,3 M€
    > 10 000 emplois sauvegardés
  • 300 entreprises soutenues grâce au prêt de relance solidaire (PRS)> 10,1 M€ investis
    > 4 503 emplois consolidés


Découvrir tout Walter #27

Vers le renouveau de l’insertion ?




L’insertion par l’activité économique est un maillon essentiel de toute économie qui se veut inclusive et durable. Aujourd’hui, un changement de cap dans le secteur se fait sentir, poussé par une volonté tant politique que financière qui s’incarne dans le récent « Pacte d’Ambition ». Alors, le renouveau de l’insertion, c’est pour maintenant ?

Secteur pionnier de l’économie sociale et solidaire, l’insertion par l’activité économique (IAE) s’est développée depuis 30 ans autour d’un objectif : ramener au cœur de l’économie les personnes les plus exclues et fragiles. Ce mouvement s’est opéré progressivement, souvent de manière sourde, parfois autour de moments marquants, tels que le Grenelle de l’insertion en 2007, le rapport Borello en 2018 ou encore le rapport de la Cours des Comptes début 2019.

Le 10 septembre dernier, une nouvelle étape est franchie avec le « Pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique », remis à la ministre du travail, Muriel Pénicaud, par Thibault Guilluy, président du Conseil de l’inclusion dans l’emploi. Dans la foulée, le gouvernement a annoncé sa volonté de faire passer le nombre de contrats en insertion à 240 000 (contre 140 000 aujourd’hui) et de débloquer 40 000 postes pour les entreprises adaptées. Cette dynamique, accompagnée d’un effort budgétaire conséquent (1,3 milliard d’euros) et d’une simplification des démarches, donne l’impulsion à un véritable changement d’échelle.

Un nouveau tremplin pour le secteur ?

Si ce Pacte d’ambition ne se présente pas comme une révolution, il n’en demeure pas moins une avancée très concrète pour le secteur. Tout d’abord, en proposant un développement à la fois quantitatif et qualitatif. Thibault Guilluy le rappelle : « L’IAE relie l’économique et le social. Pour intensifier ce mouvement, notre premier objectif avec le Pacte était d’y apporter un soutien massif en traduisant notre ambition en volume. Ensuite, il fallait un développement qualitatif, au-delà de l’effort budgétaire. Nous avons alors tenté valoriser le meilleur de ce qui est déjà fait et de lever les freins au changement d’échelle. Cela se traduit, par exemple, par davantage de confiance accordée aux personnes de terrain, l’adaptation de l’offre aux besoins spécifiques de chaque structure, ou encore la création d’un CDI inclusion pour les publics seniors sans solutions. » Le Pacte propose, par ailleurs, une amélioration des conditions de recrutement des personnes en insertion. En effet, là où le contrôle de l’adéquation du profil à un emploi en insertion se faisait avant embauche, le rapport préconise un rapport de confiance a priori, facilitant l’emploi, avec la possibilité d’un contrôle a posteriori. « Le fait de lever ces lourdeurs administratives ne peut que nous aider. Cette suppression de l’agrément va nous donner un second souffle », commente Yazid Boudjedia, directeur du développement du Groupe ID’EES, qui avait formulé cette proposition. « On passe du pilotage de la contrainte au pilotage de la croissance », confirme Olivier Dupuis, secrétaire général de la Fédération des entreprises d’insertion. « Cette ambition affichée part du fait que, depuis plusieurs années, on sait qu’on peut faire mieux. C’est une marche importante pour l’insertion, il y en aura plusieurs. On ne chamboule pas le secteur, mais on l’affine, on allège et on le simplifie. »

Des actes attendus et reconnus

L’annonce budgétaire montre également, que derrière les discours, les actes sont là. Ce que saluent les acteurs du secteur. « C’est très positif, parce que le message qu’on porte en tant qu’entrepreneurs sociaux est entendu. C’est bien d’avoir des Pactes, des préconisations…, mais l’important, c’est la concrétisation. C’est le cas aujourd’hui avec l’enveloppe budgétaire qui porte une volonté d’assouplissement et de développement de l’emploi », se félicite Ludovic Blot, directeur de Ressources T, entreprise d’insertion bretonne, spécialisée notamment dans le recyclage d’équipements électroménagers, dont 65 % des emplois sont en insertion.

Pour Alexandra Miailhe, directrice générale de la SCIC Saprena :« L’État donne les moyens aux différents secteurs de l’insertion d’accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi ». Cette entreprise adaptée située en Loire-Atlantique emploie 370 salariés dont 66% des personnes sont en situation de handicap. « En ce qui nous concerne, l’effort est important sur la transformation des entreprises adaptées. L’État mise sur nos performances. En tant qu’acteur social, c’est fondamental, car notre rôle dans la société est reconnu. Sans nous, où iraient ces personnes ? » Aujourd’hui, les entreprises adaptées créent des emplois et proposent de construire des parcours professionnels à leurs salariés, permettant d’intégrer des entreprises dites classiques.

Une autre des améliorations portées par le Pacte est remarquée : l’acteur public devra désormais se justifier quand il ne recourt pas à un contrat d’insertion. « Dans toute transaction économique, la question de l’insertion devra désormais se poser. Notre développement passe par là : si les pouvoirs publics sont exemplaires, cela “ruissèlera” sur les entreprises classiques, qui seront amenées à se réinterroger sur leur propre RSE », analyse Ludovic Blot.

Financer l’ambition

Si l’effort est louable, certains angles morts demeurent et des problématiques devront être résolues. Notamment dans la mise en œuvre de cette ambition et le financement des entreprises de taille intermédiaire. « Il y a une tendance à la précarisation des publics en insertion. Ce qui nous donne un chantier de fond : l’équilibre du modèle économique. Il aurait été intéressant de pouvoir activer des financements pour absorber les coûts d’encadrement », commente Julien Adda, directeur du réseau Jardin Cocagne, spécialiste des ateliers et chantiers d’insertion (ACI).

La question du financement sera en effet prégnante pour poursuivre ces ambitions. Pour Ludovic Blot : « L’enjeu ici est le “hors-radar”, ceux en dessous des très gros tickets d’investissement. On va avoir besoins d’outils financiers pour les intermédiaires. Pour cela, nous sommes confiants en la capacité d’acteurs comme France Active de pouvoir nous soutenir ». Même écho chez Thibault Guilluy : « Le rôle des financeurs à impact social est fondamental pour créer un environnement stable pour le secteur et apporter des réponses adaptées à tous les types de structures. Les acteurs comme France Active peuvent accompagner au plus près les modèles économiques même fragiles, en émergence comme pour un changement d’échelle. Cela réduira le nombre de personnes qui passent encore au travers des mailles du filet. »

De nouvelles perspectives

Le champ ouvert par ce changement d’échelle est encore très vaste. Le secteur sera notamment confronté à la question du croisement des problématiques sociales et écologiques. Julien Adda le rappelle : « Face au contexte actuel de choc climatique, de crise sociale et de précarisation, les ACI étaient une proposition pour faire converger, via l’inclusion, toutes les problématiques, notamment la question agricole où il nous est possible agir rapidement ».

La question du numérique sera également prégnante. « Les acteurs de l’insertion ont été pionniers de l’économie circulaire. Mais aujourd’hui, il faut épouser les défis actuels. La transition numérique est une opportunité et un risque pour le secteur. Comment y répondre quand une grande partie de nos salariés sont exclus de ces domaines ? Il faudra se réinventer en créant de nouveaux parcours, de nouvelles montées en compétences et donc de nouvelles employabilités », affirme Ludovic Blot.

Autre axe de développement à venir essentiel : la structuration du secteur autour de l’articulation de tous les acteurs privés, publics, associatifs…. « Il est fondamental d’arrêter la redondance. Le système est déjà très riche : nous devons mettre en lien tous les types d’intervenants, avec de la fluidité. Ce qui est annoncé va dans le bon sens. Il faut l’ancrer et ne pas sauter les étapes, afin de ne pas créer de fragilités. C’est là que l’Inclusive Tour, qui mobilise des acteurs très variés pour booster l’emploi des personnes en situation de handicap dans 16 villes de France, a du sens. Et il faut prendre le temps de jauger comment on construira ensemble le secteur à l’avenir », analyse Alexandra Miailhe.

Pour Thibault Guilluy, quant à lui, l’enjeu se porte sur : « l’articulation de l’ambition nationale à chaque territoire, en veillant à ce que les plus fragiles aient un meilleur soutien. On doit embarquer les établissements publics, les régions comme toutes les collectivités, mais aussi les entreprises classiques avec, par exemple, des mesures d’incitation et des formations pour les dirigeants aux problématiques de l’inclusion. »

Un levier vient d’ailleurs d’être créé pour mieux consolider l’éco-système : le référentiel RSE ouvert sur l’inclusion de la Fédération des entreprises d’insertion. Son objectif : évaluer l’engagement et le niveau de maturité des entreprises qui voudront se « labeliser » inclusion. « Tout notre enjeu est d’amener les entreprises à aller plus loin dans le domaine et de partager plus largement notre vision de l’économie. Car si l’inclusion par l’emploi reste un sujet d’expert, cela ne deviendra jamais un sujet de société », précise Olivier Dupuis. Dans ce contexte, le modèle des joint-ventures sociales, mis en place par le groupe ID’EES ou le Groupe Ares, constitue une perspective d’ouverture intéressante. Grâce à des partenariats avec Vinci des salariés en emploi d’insertion construisent progressivement un parcours professionnel avant de rebondir vers un emploi durable. « Les employés en insertion constituent un vivier employable pour ces entreprises, précise Yazid Boudjedia. Ce modèle de joint-venture est essaimable. Cette dynamique peut donc libérer l’entrepreneuriat et l’envie de créer des nouveaux modèles inclusifs »

Ainsi, si par le passé les emplois en insertion pouvaient susciter la méfiance, le Pacte devrait alors achever de banaliser leur intégration dans la sphère économique. « Il y a toujours besoin de convaincre le monde économique de faire appel à nous. Mais beaucoup d’entreprises sont déjà dans ce mouvement, notamment dans le cadre de leur politique RSE. L’insertion est un formidable moyen de s’engager », conclut Yazid Boudjedia.

  • Avec le Pacte d’ambition :100 000 emplois en insertion en plus et 40 000 emplois adaptés
    1,3 milliard d’euros débloqués
  • 55 %de sorties positives pour les parcours d’insertion
  • 8 salariés en insertion sur 10déclarent que cet accompagnement leur permet de retrouver confiance et de se sentir utiles
  • 1 957ateliers et chantiers d’insertion (ACI)
  • 952entreprises d’insertion (EI)
  • 682associations intermédiaires (AI)
  • 268entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI)
  • 3 860entreprises et associations conventionnées par l’État mobilisées pour l’IAE
  • Ce qui représente136 000 salariés en insertion (2017)

Photo Sébastien Citerne

3 questions à Sebastien Citerne, directeur général de l’UNEA

Quels sont les objectifs des entreprises adaptées ?
Tout d’abord être un acteur économique sur les territoires en développant de l’emploi majoritairement à destination des personnes en situation de handicap. Mais aussi, aujourd’hui, proposer de nouvelles approches d’expression et d’accompagnement professionnel des salariés.

En quoi l’entrepreneuriat adapté résonne-t-il avec les valeurs de l’ESS ?
Les entreprises adaptées s’inscrivent complètement dans les valeurs de l’ESS. Elles se destinent majoritairement à un public fragilisé et en marge de l’emploi. N’oublions pas que 19 % des personnes en situation de handicap sont au chômage, dont un très gros pourcentage de très longue durée. Nous avons donc, d’une part, une mission sociale dans le retour à l’emploi et, de l’autre, une visée entrepreneuriale. Car c’est par le biais de la création de valeur que nous pouvons réinsérer les personnes mais également faire vivre les structures. Quand on analyse les entreprises adaptées, 75% des leurs ressources sont issues de l’activité de commerce.

Quels défis pour les entreprises adaptées dans les années à venir ?
Leur rôle doit être plus important dans la lutte contre le chômage des personnes handicapées, avec une fonction de premier accès à l’emploi, notamment pour les jeunes en situation de handicap. Aujourd’hui l’EA est encore trop vue comme une solution de dernier employeur. Elle doit devenir une possibilité comme une autre de premier emploi. Nous avons également un enjeu de métier en proposant de nouvelles activités. Le secteur se tertiarise, il faut continuer à se diversifier, à innover, notamment pour mieux répondre aux attentes des jeunes en situation de handicap.


+ d’actus sur Walter #21